E PROCESSUS DELABORATION
de lalphabet grec tel que nous le connaissons aujourdhui,
ne sest pas fait du jour au lendemain. De plus, la
structure politique éclatée de la Grèce
antique, favorisait lémergence de particularisme
locaux forts. On distingue ainsi les alphabets archaïques,
employés à Théra et à Mélos,
les alphabets orientaux dAsie Mineure, des îles
orientales de la Mer Egée et du nord-est du Péloponèse
(Argos, Corinthe, Mégare et leurs colonies) ainsi
que ceux du nord-ouest de lEgée et de lAttique
et les alphabets occidentaux, employés dans la plus
grande partie de la Grèce continentale (Laconie,
Arcadie, Béotie, Phocide, Thessalie, Eubée
mais aussi dans les colonies de Sicile et dItalie
méridionale). Ces systèmes scripturaux servirent
dans un premier temps à retranscrire les quatres
principaux dialectes grecs: léolique, le dorique,
lionique et lattique.
Les mutations de lalphabet phénicien
Pragmatiques, les Grecs vont transformer lalphabet
phénicien en ladaptant à leur langue.
Dans un premier temps, ils affectèrent à certaines
consonnes phéniciennes, des valeurs à peu
près similaires dans leur langue. Ainsi, le signe
du samek phénicien fut affecté à la
consonne grecque de prononciation voisine s.
Après de nombreuses modifications dorientation,
ce caractère se stabilisa sous la forme du sigma,
S, tandis que le têt fut affecté
à la notation du son th sous la forme du Q
et que le qof, q, servit à noter le k et reçut
le nom de koppa (K). Le zain sémitique,
servit à noter le son grec dz sous la forme Z.
Mais linvention la plus significative des Grecs constituera
à attribuer à certaines lettres phéniciennes
dont ils navaient pas lusage la valeur de voyelles.
Cest ainsi que naquirent le alpha (A),
lepsilon (E), lomicron (O)
et lupsilon (Y). Pour la sonorité
i, ils inventèrent ex nihilo une lettre, le iota.
Cette «lumière des voyelles» pour reprendre
lexpression dEtiemble, cest lapport
décisif que vont faire les Grecs à lhistoire
de notre civilisation.
Le problème pour les Grecs nétait pas
seulement de trouver un emploi pour les lettres sémitiques
qui ne correspondaient pas à des consonnes de leur
langue mais également darriver à noter
tous les sons de cette dernière. Cest ainsi
que le son ph, fut dabord noté PH
avant de se stabiliser sous la forme F. Le son
kh fut attribué à lancien taw sémitique,
C, resté sans emploi en grec. Le groupe
consonnantique ps, fut dabord noté PS,
mais les Ioniens recoururent rapidement au signe Y
pour le représenter.
Ainsi, progressivement, son par son, signe par signe, sélabora
lalphabet grec avec des différences notables
selon les régions, mais suivant toujours le même
processus: celui de ladaptation du vieil alphabet
sémitique à la langue grecque. Ceci explique
dailleurs que les Grecs aient dans lensemble
hérité des Phéniciens à la fois
lordre dans lequel sont rangées les lettres
et les noms de ces lettres. Lalpha rappelle indubitablement
laleph phénicien, le bêta, le beth phénicien,
etc.
Une longue évolution
Au début les mots étaient écrits sans
séparation; plus tard on les sépara les uns
des autres. Dans le même ordre didée,
les accents sont apparus progressivement dans lalphabet
grec. La langue grecque avait en effet cette particularité
de posséder un accent musical qui se traduisait dans
chaque mot par un changement de hauteur portant sur une
des syllabes de ce mot. Lalphabet que les Grecs avaient
hérité des Phéniciens ne tenant pas
compte de telles nuances, les grammairiens alexandrin Aristophane
de Byzance (ca -240) et son disciple Aristarque de Samothrace
inventèrent les trois accents de lécriture
grecque: aigu, grave et circonflexe.
Jusquau VIème siècle, lécriture
grecque nétait pas encore stabilisée.
Chaque cité grecque archaïque, traditionnellement
jalouse de son indépendance, imposaient des graphies
très différentes aux lettres. Ainsi, aux côtés
de lalphabet grec ionien, coexistaient différentes
variantes de cet alphabet employés en Asie Mineure
pour noter le grec et des dialectes locaux. Pour mémoire,
il est possible ainsi de mentionner lexistence des
alphabets phrygien, pamphylien, carien, lydien et lycien.
De même le sens de lecture nétait pas
encore définitivement fixé. On pratique ainsi
le spéirédon (lecture en spirale), le stoïchédon
(alignement horizontal et vertical des lettres) et le boustrophédon.
Dans ce dernier système, le sens de lecture progressait
à lhorizontale, alternativement dans un sens
et dans le sens opposé, à la manière
des bufs au labour, revenant sur leurs pas à
la fin de chaque sillon (bous: bufs; strephein: tourner).
Le boustrophédon constitue peut-être lintermédiaire
entre le sens phénicien, de droite à gauche,
que les Grecs adoptèrent dans un premier temps et
le sens ionien de gauche à droite.
Stabilisation de lécriture grecque
Lannée -403 marque un tournant décisif
dans lhistoire de lalphabet grec. En effet,
sous larchontat dEuclide, Archinos fait adopter
à Athènes une disposition stipulant que les
textes des lois, consignés jusqualors dans
lalphabet local, seront réédités
dans lalphabet de Milet dit ionien, qui donnait sa
préférence au sens gauche-droite. Les autres
villes grecques, suivirent progressivement cet exemple,
reconnaissant officiellement la supériorité
de cet alphabet. Au IVème siècle, lunification
des alphabets grecs était à peu près
réalisée. Cest un fait important dans
lhistoire de la civilisation, car ladoption
de ce même type décriture coïncide
approximativement avec la création dune langue
grecque commune, koiné dialektos, qui fut employé
par tous les Héllènes ayant quelque culture,
processus déterminant dans létablissement
du sentiment national grec.
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