Histoire de l’imprimerie au Liban

La période française

VERS 1885, la Sublime Porte, jusqu’alors tolérante à l’égard des maisons d’édition, prit des mesures radicales : tout livre avant d’être imprimé devait préalablement être examiné à Istanbul. La presse fut également soumise à une censure très sévère. Toutes ces restrictions entraînèrent de nombreuses faillites tandis que certains imprimeurs plus aventureux préféraient quitter le pays pour l’Égypte (à Alexandrie notamment).

La fin de la domination ottomane

Toutefois, l’Imprimerie catholique, l’Imprimerie américaine, les imprimeries syrienne, al Adabyat, al ‘Ilmyat, al Adab, al Fawa’ed, continuèrent leur mission culturelle en multipliant les éditions en langue arabe, française et anglaise. Par ailleurs, les imprimeries de la montagne, moins exposées, prospéraient. De nouvelles imprimeries furent toutefois fondées à Beyrouth dont la première imprimerie juive de Beyrouth (An Nagah, 1905). L’imprimerie al Ahlyat fondée par cheikh Ahmad Tabbara en 1905 ne tarda pas à prendre de l’importance. Elle avait pour mission de doter les écoles musulmanes d’ouvrages scolaires.

Avec la révolution des Jeunes Turcs à Istanbul en 1908, la censure s’assouplit. Les journaux et les revues se multiplièrent ; entre 1908 et 1912 pas moins de 86 journaux et 41 revues furent fondés, non seulement à Beyrouth mais également dans la Montagne et dans les ports de la côte. La turquisation de la politique ottomane, conduisit cependant certains imprimeurs à prendre le chemin de l’exil égyptien. L’Imprimerie syrienne ferma ses portes en 1911.

D’autres imprimeries furent ultérieurement fondées, mais elles n’eurent jamais l’importance des anciennes. En 1914, un journal franco-arabe, le Journal de Beyrouth, était imprimé au Liban tandis que le Français Louis Isidore Cressot fondait en 1910 une lithographie et publiait un hebdomadaire français. Parmi les anciennes imprimeries de la ville, l’Imprimerie catholique et l’Imprimerie américaine régnaient en maître par la diversité, la multiplicité et la qualité de leurs productions. Avec les autres imprimeries libanaises, elles exportaient leur production dans tout le monde arabe.

La guerre fut une période douloureuse de l’histoire de l’imprimerie au Liban : la plupart des écoles furent fermées, les journaux suspendus ou muselés ; beaucoup d’imprimeries furent arrêtées, certaines réquisitionnées. L’Imprimerie catholique fut mise à sac et ses machines envoyées à Damas, Beyrouth et Baabda. Seules survivaient les imprimeries travaillant pour le gouvernement ottoman.

La renaissance de l’après-guerre

La vie reprit avec l’armistice de 1918. Les arts graphiques se développèrent, de même que les publications en langue française. Par ailleurs, l’arrivée de nombreux Arméniens motivait la création d’imprimerie dans cette langue. Le développement de l’industrie et du commerce, augmentaient les besoins en imprimés commerciaux. A Beyrouth et en province, les imprimeries Al Fawa’ed, al Ahlyat, at Tabat, Al Adabyat, al Ilmyat, al Igtihabad, al Asryat, an Nagah etc. continuèrent leur activité d’avant-guerre.

Surtout, l’Imprimerie américaine, la Lithographie Cressot et l’Imprimerie catholique se rééquipèrent. Cela n’alla pas sans difficultés pour cette dernière chez qui tout avait été enlevé à part une grande presse trop lourde à manœuvrer et qui dû tout récupérer, y compris un coupe-carton qui avait fait le voyage de la Mecque. Heureusement pour elle, en 1914, un frère jésuite avait eu l’intelligente idée de cacher les matrices et les poinçons et de mettre en sûreté les appareils photographiques. En 1928, l’imprimerie pouvait fêter dignement ses 75 ans et republiait depuis déjà quelques années les revues Al Machreq, Mélanges de l’Université et Bibliotheca Arabica Scholasticorum.

Peu de temps avant, en 1922, l’American Press avait fêté son centenaire. Jusqu’à cette date, elle avait imprimé 72 Bibles arabes de divers formats totalisant près de 2,2 d’exemplaires et atteint le chiffre impressionnant de 1,24 milliards de pages d’imprimés dans les langues arabe, anglaise, française, turque, arménienne, perse et kurde. Pour cet anniversaire, l’Imprimerie américaine se dotait de la première linotype au Liban afin de poursuivre le but fixé par ses fondateurs à savoir l’édition de propagande religieuse mais également d’ouvrages scolaires, littéraires, historiques ou sociales.

Le Haut-Commissariat, se mêla également un peu d’imprimerie, prenant le contrôle des imprimeries officielles al Wilayat de Beyrouth et ar Rasmyat de Baabda. Elle préleva des machines de ces imprimeries pour aider l’Imprimerie Jeanne d’Arc des pères Capucins qui éditait la « bonne presse » française tels le Bulletin St. Louis ou L’Orient et arabe. Elle fonda une imprimerie, appelée Atelier typographique des troupes du Levant ou Imprimerie du Haut-Commissariat, qui assurait les imprimés de l’armée, les travaux de ville du Haut-Commissariat et une série de cartes de Syrie et du Liban. Plus tard, l’activité topographique fut repris par une nouvelle structure, le Bureau topographique des troupes du Levant.

Pour des raisons de clarté, ne seront pas mentionnées toutes les imprimeries qui furent fondées dans les années 1920-1930 à Beyrouth et en Province. Leur activité ne fut pas très importante ; toutes cependant avaient une activité d’impression de travaux de ville qui prenaient de plus en plus d’importance. A cette période, Farid Medawwar, directeur de l’école primaire de l’Université Américaine, remit en état une vieille presse de l’Université et institua le premier cours de typographie au Liban.

L’imprimerie libanaise au service de la France libre

La seconde guerre mondiale, n’eut pas les conséquences dramatiques de la première. Sous les auspices de la France combattante au Levant, fut fondée en 1941 à Beyrouth, les Lettres Françaises dont la mission était : « l’édition et la diffusion de tous les ouvrages destinés à favoriser le développement de la culture française et des amitiés françaises dans le monde ». La moitié des deux millions de livres édités par cette société qui disposait d’imprimeries en Algérie, en Egypte, en Palestine et au Levant, le furent à Beyrouth. Ils portèrent le rayonnement de la pensée française dans le Moyen Orient, l’Afrique du Nord, l’AEF, l’AOF, le Congo belge, la Nouvelle Calédonie et Madagascar. Pour reprendre les termes du P.Nasrallah, « le Liban paya ainsi une partie de la dette de l’esprit contractée par lui envers la France.»

La guerre transforma le Proche-Orient en champ de propagande. Une profusion de tracts y furent édités et diffusés, faisant la fortune des imprimeries de Beyrouth. Sous le nom d’Imprimerie des Forces Françaises Libres fut créées une imprimerie à l’aide du matériel de l’imprimerie du Haut-Commissariat qui avait été expédié à Damas au début de la guerre. Installées les locaux du Grand Sérail, les machines furent réexpédiées en France en 1946.

L’imprimerie arménienne au Liban

Dès 1894, l’Imprimerie Catholique avait édité des catéchismes soit en arménien, soit en turc, en caractères arméniens. En 1912, l’évêque de Mardin, dota le couvent de Bzommar d’une presse avec caractères arméniens qui imprima diverses prières mais cette tentative n’eut pas de lendemain.

Les évènements d’Arménie consécutifs à la guerre, et l’exode de Cilicie, obligèrent de nombreux Arméniens à émigrer. Nombre d’entre eux s’installèrent au Liban, de préférence dans les villes où ils reconstituèrent leur communauté. Des imprimeries furent créées qui étaient également équipées en caractères latins et arabes.

A Antélias où résidait le Catholicos de Cilicie en exil, fut installé une presse achetée en Grèce que l’on équipa de caractères arméniens. L’Imprimerie du Catholicosat édita alors la revue Hask (épi) ainsi que des livres scolaires, religieux et historiques dont le plus important est l’Histoire des patriarches arméniens de Cilicie de 1441 à 1940.

Des imprimeries privées prospérèrent également. On peut ainsi citer celle de Wartan Kivorkian (1924), qui rachetée en 1936 par Sarkis Pakhditian donnera naissance à l’imprimerie Araz, l’imprimerie Taschgian (1924), l’imprimerie Nisan, l’imprimerie Uvezian spécialisée dans l’édition de musique arménienne, l’imprimerie Purad, l’imprimerie Dobalkian, etc. Sortent du lot de la vingtaine d’imprimeries arméniennes opérant au Liban dans la seconde moitié du XXème siècle, l’imprimerie Arax qui éditait des ouvrages protestants, la grande imprimerie Rotos fondée à Alep en 1934 qui disposait d’une filiale à Beyrouth ou encore l’imprimerie Aztag qui édita le premier quotidien arménien du Levant.