Histoire de l’imprimerie au Liban

Les imprimeries missionnaires

AU MILIEU DU XIXE SIECLE, les côtes libanaises accueillirent de nombreux étrangers qui s’installaient dans les cités de Tyr, Saïda et Beyrouth où régnaient outre une grande activité commerciale, une relative tolérance religieuse. Les ordres missionnaires catholiques (Capucins, Franciscains, Jésuites, Paulistes, Lazaristes, etc.) mais également protestants en profitèrent pour revenir au Liban. Ce sont eux qui donneront au Liban ses plus fameuses imprimeries.

La Mission Américaine

Les Missions protestantes avaient précédé de quelques années, les congrégations catholiques. S’adressant d’abord aux Grecs et aux Arméniens, ils élargirent leur mission d’évangélisation aux Arabes. Ils installèrent une imprimerie arabe à Malte qui fonctionna de 1822 à 1842, éditant des ouvrages de littérature et de religion.

En 1830, la presse arabe fut transportée à Beyrouth. Jusqu’en 1838, la nouvelle presse se servit des caractères utilisés à Malte ; à cette date, elle fit l’acquisition de caractères petits gravés à Leipzig. Elle publia de nombreux ouvrages historiques et de littérature arabe, la version protestante arabe de la Bible et la première revue en langue arabe, Magmu Fawa’ed (1853).

L’Imprimerie Catholique des Pères Jésuites

L’autre grande imprimerie de propagande religieuse fut celle que les pères jésuites fondèrent à Beyrouth pour contrebalancer l’influence de la Mission Américaine. En 1854, la nouvelle presse édita son premier livre en langue arabe, l’Imitation de Jésus-Christ. Dotés de caractères latins en 1855, elle imprima son premier ouvrage bilingue en 1856 Éléments de langue française).

En 1860, les deux presses avaient déjà produit près de 350.000 exemplaires de 30 ouvrages différents. Les caractères arabes utilisés venaient de France, puis de l’Imprimerie américaine et enfin de Istanbul. Très moderne, elle n’avait rien à envier aux meilleures maisons d’Europe. Elle édita des ouvrages touchant à toutes les branches du savoir humain : Écriture sainte, religion, controverse, liturgie, ascétisme, littérature, histoire, géographie, médecine, algèbre et mathématiques, livres classiques, etc.

Les écrivains libanais y éditèrent leurs ouvrages, de même que les orientalistes de l’Université saint-Joseph. Le chef d’œuvre de l’Imprimerie Catholique fut l’édition arabe de la Bible. Commencée en 1876, elle obtint une médaille d’or en 1878 à l’Exposition de Paris.

Le développement de l’imprimerie à Beyrouth...

Ces deux grandes imprimeries profitèrent de l’élargissement de l’audience du livre au Liban. En effet, les écoles se multipliaient, on fondait le Syrian protestant college qui donnera naissance à l’Université américaine, et la future Université saint-Joseph...

« Le progrès, l’activité de la presse et de l’imprimerie sous l’influence chrétienne firent de Beyrouth le centre de la librairie arabe. Nulle part en Turquie le nombre des illettrés n’est moins considérable que dans cette ville, cerveau de la Syrie » (P. Nasrallah). Des cercles littéraires virent le jour, de plus devenue une capitale économique et politique, Beyrouth voyait se multiplier les journaux.

A Beyrouth même, d’autres imprimeries de moindre importance prospérèrent. L’imprimerie Saint-Georges reprit ses activités de 1845 à 1898, l’Imprimerie Syrienne fut fondée en 1857. Elle édita de la littérature et le premier journal arabe d’Orient, Hadiqat al Ahbar. L’imprimerie Ash Sharqyat fut fondée en 1858 par Ibrahim Najjar, l’imprimerie Al ’Umumyat en 1861 par Yuseph al Huri Salfun qui édita des journaux, de la littérature et des ouvrages religieux, etc.

Les imprimeries se multiplièrent vers la fin du XIXe siècle et il serait fastidieux de les énumérer toutes. Il est à noter que certaines d’entre elles possédaient leur propre fonderie de caractères, ce qui donnait l’occasion aux imprimeries libanaises de s’affranchir de leur dépendance vis à vis de l’Europe.

... et dans le reste du Liban

Enfin, il est possible de mentionner le fait que des imprimeries prospérèrent également en dehors de Beyrouth. Ainsi à Quzhaya, Seraphim Susani installa dès 1785, une imprimerie qu’il avait amené avec lui de Rome, qui édita dans un premier temps des livres liturgiques en syriaque (la langue liturgique maronite).

A Sharfé, fut installée en 1849, une presse ramenée originellement par le patriarche syriaque Pierre VII de Rome en 1816 qui l’avait installé au couvent d’ar Ragm, pillé en 1841 par les druzes. Dotée de caractères syriaques, arabes et turcs elle imprima de nombreux ouvrages jusqu’en 1926, date à laquelle elle fut amenée à Beyrouth et baptisée Imprimerie patriarchale syrienne.

On trouvait au XIXe siècle des imprimeries à Beiteddine (notamment pour imprimer des documents gouvernementaux), à Tamis, à Ehden, à Baabda, à Gunié, à Abey et enfin à Tripoli.

Les fonderies de caractères au Liban

La plus ancienne fonderie libanaise est celle de l’American Press. Jusqu’en 1836, l’imprimerie se servit de caractères anglais. Ni commode, ni élégant, la direction confia à Eli Smith le soin d’en façonner d’autres. Pour ce faire, ce dernier partit pour Leipzig, emportant avec lui des modèles accentués des meilleurs calligraphes d’Egypte et de l’Empire Ottoman. Revenu à Beyrouth en 1841 avec les nouvelles matrices, il créa une fonderie et pu fournir en caractères, que l’on appelle aujourd’hui americani, la plupart des imprimeries libanaises et même l’Imprimerie Catholique. Elle exporta également sa production en Syrie, en Palestine, en Irak, en Perse, aux Indes, au Maghreb et même aux Philippines, en Australie, au Brésil et en Argentine. Elle cessa ses activités en 1924.

La fonderie de l’Imprimerie Catholique date, elle, de 1874, mais eut une plus grande audience. Elle créa un type de caractères dit stambouli, où les divers accents vocaliques sont fondus sur le corps de la lettre. La plupart des presses de Beyrouth adoptèrent ces caractères, utilisés également dans tout le Moyen Orient. Pour la Linotype et la Monotype, la fonderie de l’IC grava deux espèces de corps 16 dont l’un coufique demi gras. En 1902, elle créa des caractères arméniens, syriaques et coptes.

Il existait également deux fonderies libano-libanaises. La première, la fonderie al Adabyat créa de nombreux caractères qu’ils exportèrent dans le Levant et au Maghreb. La fonderie J ’Abbud, créée à Beyrouth en 1939, a gravé trois espèces de caractères français, six de caractères arabes et enfin quatre de caractères arméniens.

La concurrence venait d’Égypte, d’Alep, parfois de Constantinople pour les caractères arméniens et de France pour les caractères latins, la fonderie Deberny & Peignot étant représentée à Beyrouth par la maison Joseph Kadige & Cie, fondée en 1898.