Claude Garamond

Histoire du Romain de Garamond

IL EST COMMUNÉMENT ADMIS que Garamond s’est inspiré du Romain de Jenson pour graver le sien. Stanley Morison, le grand historien et théoricien de la typographie, a contesté cette opinion, soutenant que les premiers Romains de Garamond étaient beaucoup plus proches de ceux d’Alde Manuce et de Francesco Griffo. C’est ainsi que les capitales d’Alde et de Garamond sont plus étroites que celles de Jenson, que la barre de l’e est horizontale dans le Romain des premiers alors qu’elle est oblique chez ce dernier. De plus, la tête du pied droit de l’M capitale chez Alde comme chez Garamond est privée d’empattement, alors que le G capitale est du même type c’est à dire muni d’un empattement de tête qui n’était accusé que d’un seul côté.

Geoffroy Tory a vraisemblablement exercé une influence sur Garamond, notamment en ce qui concerne l’attitude à adopter à l’égard du Romain. Le Champfleury de Tory, est le lieu suprême où la typographie et la culture se rencontrèrent. Il est probable que sans l’enseignement spirituel de Tory, Garamond se serait contenté de recopier les caractères de Griffo. Toutefois, celui qui a joué un rôle décisif dans la formation de Garamond est son maître Antoine Augereau qui avait en 1532 sorti un Romain révisé.

Le Romain de Garamond est donc fondé sur les minuscules de l’écriture carolingienne du IXème siècle, telle qu’elle avait été pratiquée par les humanistes italiens et la presse d’Alde Manuce. Proche de l’esthétique vénitienne, ce Romain a en plus pour lui une perfection technique dont les Romains de Griffo et Jenson sont dépourvus. En 1550, des capitales furent adjointes au bas de casse. On a retrouvé la trace de ces fontes dans le spécimen de caractères publié en 1592 par la fonderie Egenolff-Berner de Francfort, laquelle reconnaissait alors posséder « sept séries de Romains de Garamond ». Cette fonderie tenait ses caractères du fondeur Konrad Berner, qui avait épousé la veuve du fondeur allemand Jacques Sabon, déjà mentionné lors du partage de la succession Garamond.

Les héritiers du Garamond

L’appellation de caractères Garamond 1540 qui fut accolée aux Caractères de l’Université fut à l’origine d’une grande confusion. C’est à l’historienne Béatrice Warde que l’on doit la découverte que le Caractère de l’Université que possédait l’Imprimerie royale puis nationale, tenu pendant des siècles pour un des Romains de Garamond, était en réalité l’œuvre de l’imprimeur Jean Jannon, qui exécuta ce chef d’œuvre en s’inspirant des fontes de Garamond, près de quarante ans après la mort de ce dernier. Ce caractère qui porte le nom latin de Typi Academiæ avait été gravé à Sedan aux alentours de 1615.

Quoiqu’il en soit, le Garamond (et ses cousins), devint à partir de la fin du XVIème siècle, le caractère Romain standard, et il était recherché dans toute l’Europe, notamment à Francfort où se faisait le commerce des poinçons et des matrices. Deux siècles après la mort du graveur, n’importe quel imprimeur européen pouvait se procurer ces caractères. Les Elzévir à Leyde en possédaient un grand nombre , l’Imprimerie royale, établie à Paris en 1640 par le cardinal de Richelieu, sortit ses premiers livres avec des caractères du même style que ceux de Garamond. A partir de 1642, ce furent les caractères de Jannon qui furent le plus en vogue. Mais le style de Garamond, quand ce ne furent pas les fontes elles-mêmes, devait établir son autorité sur la typographie française et souvent même étrangère durant près de deux siècles.

Le Garamond au XXe siècle

En 1917, l’American Type Founder présenta son Garamond, une relecture baptisée Garamond N°3, œuvre des typographes Morris Fuller Benton et T.H. Cleland, d’après la version de Jannon. En 1924, la fonderie allemande Stempel sortit sa propre relecture, gravée, elle, d’après les dessins d’origine de la fonderie Egenolff-Berner de Frankfort. Stempel avait toutefois pris le soin de normaliser les traits du Garamond. Peu après, Linotype fit graver sous la supervision de Georges W.Jones, un caractère baptisé du nom du célèbre graveur lyonnais Robert Granjon mais qui est considéré aujourd’hui comme la plus belle reproduction des caractères classiques de Garamond. Comme le Stempel Garamond, il est en effet basé sur le spécimen de la fonderie Egenolff-Berner.

La deuxième moitié du XXème siècle a définitivement établi la supériorité et la beauté des travaux de celui qui est considéré comme le plus grand des graveurs et fondeurs de caractères de tous les temps. Entre 1964 et 1967, Jan Tschichold dessina un Garamond légèrement étroitisé conçu pour pouvoir être utilisé sans dégradation dans toutes les techniques de composition. Son dessin remonte au fameux spécimen Egenolff-Berner. Tschichold a complété le travail de son illustre prédécesseur en introduisant dans son Sabon de nombreux raffinements, afin de le rendre plus approprié aux besoins de la typographie moderne. Dernière adaptation en date, celle de l’International Typeface Corporation dans les années 1970. Comme toutes les relectures de l’ITC, le Garamond ITC se distingue de son glorieux ancêtre par son plus grand œil et ses approches réduites. Toujours chez ITC (1982), il est possible également de mentionner le Galliard, de Mathew Carter, qui est une réinterprétation moderne du Granjon précédemment cité. Actuellement, le Garamond fait un véritable retour en force, remplaçant de plus souvent le Times New Roman dans les publications.